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réalité ou illusions perdues ?
23 novembre 2011

Paradis Fiscaux - 1ère partie

Je vais commencer le dossier par une conférence de Christian Chavagneux, qui date un peu (2006), mais qui donnera le ton à ce dossier :

Christian Chavagneux : 

Christian Chavagneux est rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique. Auparavant, il a travaillé comme chargé de mission à l’ex-Commissariat général du Plan, comme économiste à la Société Générale et comme chargé d’études à l’Agence française de développement. Il a enseigné plusieurs années à Sciences Po et à l’université Paris IX Dauphine.
Les paradis fiscaux au coeur de la mondialisation


Alternatives Economiques n° 252 - novembre 2006
Les paradis fiscaux jouent un rôle essentiel dans les flux bancaires internationaux, mais aussi dans les stratégies d'investissement international des firmes. Loin de l'image des petites îles ensoleillées, ces paradis tiennent d'abord aux activités des Etats les plus puissants.

Les paradis fiscaux, piliers du capitalisme

Christian Chavagneux 

Alternatives Economiques n° 252 - novembre 2006

Les paradis fiscaux ne facilitent pas seulement les magouilles financières, ils sont au centre des stratégies des firmes et des flux bancaires internationaux.

2005 a été une année exceptionnelle pour le groupe U2, avec des gains estimés à 217 millions d'euros. Tout allait donc bien pour Bono et sa bande, jusqu'à ce que leur patrie d'origine, l'Irlande, qui proposait aux artistes de ne pas payer d'impôts, décide récemment de plafonner la défiscalisation autorisée. Ni une ni deux: Bono, jusqu'ici connu pour son combat en faveur de l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, a transféré la gestion des gains du groupe à une société hollandaise, Promogroup. Elle compte déjà comme clients les Rolling Stones qui, grâce à ses bons conseils sur la meilleure façon d'utiliser les lois fiscales des Antilles néerlandaises, affichent un taux d'imposition sur les vingt dernières années de… 1,6% de leurs revenus.

Evasion et fraude fiscales des riches et des entreprises, blanchiment d'argent mafieux, corruption, etc., pas une pratique financière internationale douteuse sans qu'un paradis fiscal - ces "bas-fonds de la finance internationale", comme l'écrivait déjà en 1968 l'éditorialiste du Figaro Alain Verney - ne soit impliqué. Et pourtant, les activités opaques des centres financiers off-shore (*) , comme on dit diplomatiquement dans les instances internationales, sont par définition les moins connues. Les estimations du blanchiment d'argent ou de la fraude fiscale internationale sont soit fantaisistes, soit, lorsqu'elles prennent la peine d'expliquer en détail leur méthode, trahissent la multiplication des approximations auxquelles elles ont recours et la fragilité de leurs résultats.

Or, le rôle des paradis fiscaux va bien au-delà des échos de magouilles financières qui nous en parviennent: ils représentent des piliers essentiels de la mondialisation économique. On peut le montrer grâce à des informations, certes partielles mais publiques, qui permettent de débattre loin des fantasmes pour mieux comprendre à quoi servent et à qui profitent les paradis fiscaux.

Les multinationales s'emmêlent les prix

L'an dernier, les îles Vierges britanniques ont plus investi en Chine que le Japon ou les Etats-Unis. L'île Maurice était, et de loin, le premier investisseur en Inde. Ces petits territoires ne se sont pourtant pas réveillés un beau matin à la tête de multinationales puissantes prêtes à conquérir le monde! En fait, les entreprises des pays industrialisés et des pays émergents se servent des paradis fiscaux pour y établir des filiales qui vont aller investir ailleurs: peu taxées par définition, ce sont elles qui enregistreront les profits, tandis que leurs propres filiales dans les pays de destination finale, plus taxées, en feront peu.

La pratique utilisée pour faire passer les profits d'une filiale à l'autre est celle des "prix de transfert". Ce sont les prix auxquels les différentes entreprises d'un même groupe se vendent des biens et des services. Ces prix sont censés obéir à une réglementation stricte, établie par chaque pays ou au niveau multilatéral, à l'OCDE notamment, et ne pas être différents de ceux entre deux entreprises appartenant à des groupes distincts. Ils sont pourtant largement manipulés par les entreprises.

L'économiste américain Simon J. Pack s'est fait une spécialité de traquer les incohérences dans les prix des importations et des exportations américaines. Ses dernières trouvailles, présentées l'été dernier, révèlent un véritable florilège de manipulation: du sable importé d'Espagne à près de 2 000 dollars la tonne (le prix mondial moyen est d'un peu plus de 10 dollars), des ampoules de flash venues de France à plus de 300 dollars (prix mondial environ 70 cents), tandis que notre beau pays importait des Etats-Unis des mitrailleuses à 364 dollars pièce (valant plus de 2 000 dollars) ou des pneus à moins de 8 dollars (valant près de 200 dollars)…

Selon un sondage réalisé par le cabinet d'audit Ernst & Young à la fin 2005, auprès d'un large échantillon de 476 multinationales réparties dans 22 pays, les stratégies de prix de transfert sont au coeur de leurs politiques fiscales pour 77% d'entre elles; 68% (contre 43% en 2000) déclaraient intégrer la stratégie fiscale de prix de transfert dès la phase initiale de conception de leurs produits. Désormais, les départements fiscaux des grandes entreprises sont considérés, à l'instar des départements de gestion de la trésorerie, comme des centres de profit devant créer de la valeur pour l'entreprise. Les politiques fiscales privées sont maintenant entre les mains de professionnels de l'impôt (1), salariés ou consultants extérieurs issus des grands cabinets d'audit, dont les rémunérations sont majoritairement indexées sur les résultats obtenus.

Au coeur de l'investissement international

On imagine souvent les paradis fiscaux comme des acteurs purement financiers: c'est oublier qu'ils jouent également un rôle essentiel dans les stratégies d'investissement des entreprises, c'est-à-dire dans la division internationale du travail. D'après les données de la Cnuced, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, on peut dire que les paradis fiscaux représentaient, à la fin 2005, un tiers du stock des investissements directs à l'étranger des firmes multinationales, avec une tendance à la hausse depuis la seconde moitié des années 90.

L'utilisation des paradis fiscaux par les grandes entreprises est largement répandue. La moitié du stock des investissements directs à l'étranger des multinationales américaines se trouve dans les paradis fiscaux. Destinations privilégiées: le Royaume-Uni, les Pays-Bas, les Bermudes et les îles britanniques des Caraïbes, devant la Suisse, le Luxembourg et l'Irlande. A la fin 2004, le président Bush a accordé une amnistie fiscale (un taux d'imposition de 5,25% au lieu de 35%), pour un an, aux multinationales qui souhaitaient rapatrier aux Etats-Unis une partie de leurs profits cachés dans les paradis fiscaux. Un regard sur les flux nets de l'an dernier (investissements à l'étranger moins profits rapatriés) permet vite de repérer les pays d'où l'argent est revenu: largement en tête, les Pays-Bas, suivis du Luxembourg et de la Suisse.

Du côté européen, 37% du stock d'investissements à l'étranger des firmes françaises et européennes se trouvent dans les paradis fiscaux. Et 47% du stock des investissements étrangers en France sont détenus par des investisseurs situés dans des paradis fiscaux, les Pays-Bas, toujours eux, représentant un tiers du total, suivis par le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Suisse. L'Union européenne est son propre paradis fiscal.

Les investissements internationaux de portefeuille (*) sont à cheval entre les stratégies de placements financiers des investisseurs et les stratégies industrielles des entreprises peu fournies. D'après les données du Fonds monétaire international (FMI), les paradis fiscaux détenaient à la fin 2004 en gros un tiers des investissements internationaux de portefeuille, contre un quart en 1997, soit une progression marquée. En tête de liste, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Irlande, la Suisse et les îles Caïmans.

Mais les paradis fiscaux ne servent pas seulement à payer moins d'impôts sur les profits. Les multinationales les utilisent aussi pour cacher leurs dettes, afin de faire apparaître aux investisseurs potentiels un bilan plus sain qu'il n'est vraiment, quand ce n'est pas pour truquer purement et simplement les comptes, comme l'a bien décrit Nicolas Cori dans le cas des affaires Vivendi Universal, Enron, Parmalat et Worldcom (2). La fausse comptabilité d'Enron utilisait à cet effet 800 sociétés écrans dissimulées dans de multiples paradis fiscaux.

Avec la montée de l'économie de la connaissance, les grosses entreprises du secteur y cachent également les rentes que leur procurent leurs brevets. Ainsi, Bill Gates, le patron de Microsoft, a-t-il vu son image de philanthrope quelque peu écornée à la fin 2005 par une enquête du Wall Street Journal révélant que, en dehors des Etats-Unis, la quasi-totalité des revenus des brevets de l'entreprise étaient gérés par sa filiale Round Island One Limited, laquelle, située en Irlande, faisait perdre environ 500 millions de dollars par an de recettes fiscales aux Etats-Unis. On a appris l'été dernier que Microsoft avait réagi: elle a changé le statut juridique de Round Island One afin de ne plus être obligée de fournir des documents publics sur les comptes de la société…

Au coeur de la finance mondiale

Que l'on considère l'actif (prêts et placements) ou le passif (dépôts et dettes), les centres financiers off-shore représentaient, début 2006, un peu plus de la moitié de l'activité internationale des banques, selon les données de la Banque des règlements internationaux (BRI). Si l'on se concentre uniquement sur les activités d'intermédiation (prêts et dépôts), leur poids apparaît plus important: à la fin mars 2006, 58% des prêts internationaux des banques sont le fait d'établissements installés dans des paradis fiscaux et 54% des dépôts internationaux se dirigent vers des établissements situés dans des paradis fiscaux. Avec une nette tendance à la baisse depuis le milieu des années 90 (voir graphique).

Allons un peu plus loin: 42% des prêts internationaux des banques (dont on vient de dire que près de 60% viennent des paradis fiscaux) se dirigent vers des paradis fiscaux, et 46% des dépôts internationaux (dont on vient de dire que plus de la moitié va vers des paradis fiscaux) ont pour source des acteurs économiques situés dans les paradis fiscaux. Cette fois, la tendance est nettement à la hausse (voir graphique).

Comment interpréter ces évolutions croisées? Elles signifient que si les banques situées dans les paradis fiscaux pèsent de moins en moins lourd dans la finance mondiale, les paradis fiscaux, eux, pèsent de plus en plus lourd dans les activités internationales des grandes banques situées à Londres, New York, etc. Et encore, cette conclusion n'est-elle vraie qu'à condition que les données de la BRI montrant la baisse relative de l'importance des établissements situés dans les paradis fiscaux couvrent bien l'ensemble de leurs activités: quand l'institution s'est décidée à intégrer dans ses statistiques plusieurs territoires exotiques à la fin de 1983, le poids des banques situées dans les paradis fiscaux a gagné neuf points de pourcentage en un trimestre! Aujourd'hui, alors que les professionnels de la finance estiment le nombre de paradis fiscaux à 70-80 territoires (1), la BRI ne couvre au total qu'une quinzaine d'entre eux (2). Il se peut donc fort bien que la baisse indiquée ne soit que l'effet d'une couverture statistique insuffisante. Une raison d'autant plus probable que tous les autres indicateurs disponibles montrent une montée de l'importance des paradis fiscaux dans la mondialisation.

 (1) Voir www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/mapamundi.pdf; Guide Chambost des paradis fiscaux, éd. Favre, 2005.

(2) La BRI classe comme centres financiers off-shore les territoires dont les activités n'ont pas crû de "manière organique" c'est-à-dire organisée, mais elle n'est pas claire sur ce qu'elle considère comme organisée ou non. Or, l'une des caractéristiques communes à tous les paradis fiscaux est d'engager des politiques publiques volontaristes destinées à attirer les clients.

[1] La BRI classe comme centres financiers off-shore les territoires dont les activités n'ont pas crû de "manière organique" c'est-à-dire organisée, mais elle n'est pas claire sur ce qu'elle considère comme organisée ou non. Or, l'une des caractéristiques communes à tous les paradis fiscaux est d'engager des politiques publiques volontaristes destinées à attirer les clients.

 

Financiers aux mains sales

Les grandes banques internationales sont de grosses utilisatrices des paradis fiscaux. Elles y proposent leurs services à leurs clients aisés et aux entreprises afin de récupérer une partie des commissions liées à la fabrique d'opacité. Ainsi, tous les scandales financiers d'entreprise de ces dernières années ont-ils impliqué les plus grandes banques internationales: Citigroup avec Enron et Parmalat, Chase Manhattan avec Enron… Le dernier établissement pris la main dans le sac est la Deutsche Bank pour avoir participé à un réseau complexe de fraude fiscale aux Etats-Unis: en mars dernier, elle a décidé de réduire ses profits annoncés pour 2005 de 7%, afin de mettre de côté de quoi négocier un règlement à l'amiable avec la justice américaine.

Les paradis fiscaux sont également le lieu privilégié du développement des compagnies d'assurance dites "captives": ce sont des filiales créées par les multinationales pour assurer tout ou partie de leurs activités. Les grandes entreprises ont réalisé qu'elles pesaient financièrement bien plus que leurs compagnies d'assurance habituelles et qu'elles étaient mieux au fait de leurs propres risques. Deux raisons pour s'auto-assurer avec des niveaux faibles de prime d'assurance et à partir de territoires contournant les contraintes réglementaires coûteuses qui pèsent sur les compagnies d'assurance. Les trois dernières décennies ont connu une croissance exceptionnelle du nombre de compagnies d'assurance captives, dont le nombre est estimé à environ 5 000 dans le monde; elles touchent à peu près 20 milliards de dollars de primes et gèrent au total plus de 50 milliards d'actifs. Les Bermudes sont le premier centre mondial en la matière, devant les îles Caïmans, l'Etat américain du Vermont, les îles Vierges britanniques, Guernesey, la Barbade, le Luxembourg, Dublin, Turks et Caicos et l'île de Man.

 

La fortune en "duty free"

"Le nombre de grandes fortunes financières privées [les personnes détenant plus de 1 million de dollars] a presque doublé ces dix dernières années, passant de 4,5 millions d'individus en 1996 à 8,7 millions en 2006", indiquait en juin dernier le World Wealth Report publié par Capgemini et Merrill Lynch. "Leur patrimoine financier a été multiplié par deux durant cette période, passant de 16 600 à 33 300 milliards de dollars, soit une croissance annuelle de 8% par an." Une aubaine pour tous les gestionnaires de fortunes, grands utilisateurs des paradis fiscaux, la Suisse captant à peu près un tiers du marché.

Une méthode pour éviter de payer trop d'impôts sur les revenus de sa fortune est de se domicilier dans un territoire aux cieux fiscaux cléments. Monaco, San Marin, les Bahamas se sont notamment spécialisés sur ce créneau, qui leur permet d'attirer quelques grands patrons et des célébrités du sport, du show bizz, etc. Avec le risque d'être qualifié de traître à la patrie: que l'on se rappelle les débats enfiévrés qu'avait suscités l'annonce d'un possible déménagement fiscal de Laetitia Casta à Londres en 2000…

Une autre méthode consiste à enregistrer une société dans un paradis fiscal qui recevra les super-salaires ou les royalties à protéger. Elle permet également d'échapper aux droits de succession ou aux pensions alimentaires en cas de divorce. C'est d'ailleurs à l'occasion d'un procès de séparation que l'on a appris que les footballeurs de l'équipe d'Arsenal, dont Thierry Henry, se faisaient payer leurs primes de match à Jersey… Généralement, les revenus sont disséminés dans plusieurs territoires et dans plusieurs sociétés, le plus souvent grâce à des sociétés très particulières, les trusts (*) , qui permettent un niveau élevé de dissimulation d'identité. Celui-ci peut être renforcé de différentes manières: les actions du trust sont "au porteur" (la personne qui détient l'action, facilement revendable, est considérée comme le propriétaire, même si le vrai propriétaire est ailleurs); ou bien le trust prévoit une flee clause (clause de fuite) permettant en cas de besoin de transférer immédiatement l'argent caché vers une autre juridiction. La littérature spécialisée a qualifié de "touristes permanents" ces riches domiciliés un peu partout dans le monde. Des touristes en résidence prolongée dans les zones de duty free en quelque sorte.

Les îles Caïmans ont pris leur revanche en dépassant les Bermudes comme première place mondiale d'enregistrement des fonds d'investissements spéculatifs (hedge funds). Selon l'Association des services financiers locale, 80% des fonds d'investissements mondiaux y sont enregistrés et la place attire de 45% à 65% des nouveaux fonds, gérant un montant supérieur à 1 000 milliards de dollars. Lors d'une conférence réservée aux professionnels du secteur qui s'est tenue en septembre 2005, les intervenants ont souligné la nature de l'avantage comparatif dont disposent les Caïmans: une souveraineté à vendre, notamment aux avocats qui ont une grande influence sur la législation locale et peuvent obtenir ce qu'ils souhaitent en moins d'une semaine! Un exemple du rôle essentiel joué par les professionnels du droit dans le fonctionnement des paradis fiscaux.

Les pros du (non) droit et des (faux) chiffres

Selon la jolie formule des spécialistes Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes, les experts légaux, comptables et fiscaux internationaux sont les "ouvreurs de porte" des paradis fiscaux (3). Leur rôle consiste à s'appuyer sur le vague et les incertitudes morales et juridiques des règles fiscales et financières, afin de déterminer des stratégies efficaces de contournement réglementaire. Deux raisons au moins expliquent la montée de leur importance: la croissance et la diversification des centres off-shore ont permis de toucher un public plus nombreux et plus diversifié; le développement des produits financiers sophistiqués, dont les manipulations sont complexes, réclame l'expérience de spécialistes.

Qui sont-ils? Les banques d'investissement et des spécialistes fiscaux indépendants, mais surtout les fameux "Big Four", les quatre grands du conseil international: KPMG, Ernst & Young, PricewaterhouseCoopers et Deloitte Touche Tohmatsu. Exerçant à la fois des activités de conseillers et de vérificateurs des comptes des entreprises, ils contrôlent le marché des 500 plus grosses entreprises multinationales dans ces deux domaines. Contrôlés par des trusts situés aux Bermudes et en Suisse, chacun opère dans environ 140 pays.

Les paradis fiscaux représentent l'outil de base de ces grands cabinets. Comme le déclarait en septembre 2005 Loughlin Hickey, chef du département impôts de KPMG et nommé en décembre 2005 l'homme le plus influent du monde en matière de politique fiscale par le magazine professionnel Tax Business: "Je suis fier que KPMG soit présent dans ces territoires (…). Franchement, si des entreprises comme les nôtres, guidées par des principes, ne sont pas dans ces territoires, c'est que l'on ne souhaite pas les aider." Cette ode au développement des petits pays ne semblait pas partagée par le fisc américain auquel KPMG a dû payer, en août 2005, 456 millions de dollars d'amende après qu'une enquête du Sénat ait mis en évidence son rôle dans un système de fraude fiscale à grande échelle (4).

Ces pratiques sont régulièrement condamnées, mais sans grand effet dissuasif. Comme l'a déclaré à la presse un comptable de l'un des grands cabinets britanniques: "Peu importe la législation qui prévaut, les comptables et les conseillers juridiques trouveront toujours un moyen de la contourner. Les règles sont les règles, mais toute règle est faite pour être remise en cause."

 

L'argent criminel reconverti

On n'a bien sûr aucune idée sérieuse sur les montants d'argent du crime (ou du terrorisme) qui passent par les paradis fiscaux. Pour en avoir ne serait-ce qu'une estimation approximative, il faudrait connaître le chiffre d'affaires du crime, le taux de profit, le taux d'épargne, sa localisation… Autant d'estimations totalement impossibles.

Les mafieux utilisent aussi bien les grands centres financiers off-shore que les petites places exotiques plus discrètes. A la fin 2005, une déclaration de Callum McCarthy, patron de la Financial Services Authority (FSA), l'agence de régulation financière britannique, a fait sensation: il déclarait disposer d'informations montrant que des groupes issus du crime organisé placent des hommes à eux dans les institutions financières londoniennes afin d'accroître leur connaissance des mécanismes de contrôle interne aux fins de les contourner.

Les criminels font passer le produit de leurs forfaits dans les paradis fiscaux pour pouvoir l'investir ensuite discrètement dans la poursuite de leurs activités illégales, mais aussi pour préparer leur retraite et l'avenir de leurs enfants. Les centres off-shore sont ainsi les filtres magiques qui effacent des mémoires l'origine criminelle des fortunes pour permettre, en une génération ou deux, les alliances avec la bonne société…

Les paradis fiscaux profitent-ils de la manne financière qui traverse leur territoire? Certaines petites économies insulaires peuvent paraître riches, mais les inégalités y sont profondes. Le secteur off-shore attire des professionnels expatriés qui ne restent que quelques années, concentrés dans des zones privilégiées qui continuent à côtoyer une économie interne assez pauvre. Les locaux ne disposent pas d'un niveau de qualification suffisant pour occuper les emplois rémunérateurs, mais doivent subir des coûts immobiliers croissants tirés par les achats des expatriés. Et l'avenir n'est pas forcément rose pour tous. La concurrence entre paradis fiscaux s'accroît, et leur extrême dépendance envers ce type d'activité les rend très fragiles. La stratégie de paradis fiscal n'est aujourd'hui payante que pour les plus grosses places financières qui les mettent en oeuvre.

  • * Centres financiers off-shore : centres financiers dont les activités sont volontairement peu régulées par les autorités publiques.

Pour lire la vidéo, clicker sur le lien ci-dessous

Vidéo : Les paradis fiscaux au cœur de la mondialisation

 

Le Réseau pour la Justice Fiscale (TJN) rassemble des organisations, des mouvements sociaux et des individus qui oeuvrent pour la coopération fiscale internationale, et contre la fraude fiscale ou la concurrence fiscale. Dans le contexte de la mondialisation, le Réseau pour la Justice Fiscale milite pour un système de taxation socialement juste, démocratique et progressiste. TJN mène des campagnes selon une approche internationaliste pour un système de taxation favorable aux pauvres dans les pays en développement ou développés, finançant les biens publics et taxe les aspects publics néfastes tels que la pollution et l'injustice sociale. Nos objectifs et demandes sont détaillés dans la déclaration du TJN.

Notre réseau s'est développé dans la mouvance du forum social mondial et du mouvement international Attac. TJN est un réseau pluraliste, diversifié, non gouvernemental, non lié à aucun parti politique et multilingue. Les membres ou associés du Réseau sont des organisations de la société civile ou des mouvements sociaux locaux ou nationaux, ainsi que des tenants de la justice fiscale, des universitaires, des journalistes, des spécialistes du développement, des syndicalistes, des hommes d'affaires sensibles à ces problèmes, des fiscalistes, des politiciens et des fonctionnaires.

TJN mène des campagnes pour le progrès social par le débat public et l'éducation. La compréhension des enjeux fiscale est un préalable pour parvenir à la justice fiscale internationale. Le Réseau diffuse l'information par les media masse, aux conférences et séminaires, à l'Internet, aux lettres d'information, aux publications, aux actions symboliques, et aux manifestations pour transmettre son message selon les diverses circonstances. Notre activité est basée sur des recherches étayées et sur des faits d'expertise.

TJN promeut la coopération, la communication et l'échange d'informations entre ses membres. Notre Réseau organise des échanges internationaux et des débats avec pour objectif d'harmoniser les points de vue, analyses et objectifs de ses membres. Ce processus est fondamental pour mener des campagnes internationales cohérentes et déterminantes dans le domaine de la politique fiscale internationale.

TJN est animé par ses organisations membres et ses militants. Il promeut la visibilité de ses organisations membres au cours de ses activités et leur participation au processus décisionnel. Le Réseau fonctionne selon les principes de la démocratie participative, la délégation, la transparence, la responsabilisation et le traitement égalitaire. TJN encourage et, si nécessaire, aide les organisations membres et des individus à participer au processus décisionnel. Le Réseau aide à la mise en place de campagnes TJN en particulier dans les pays en développement. Un secrétariat international coordonne les activités du Réseau.

 

OCDE : Un recul face aux paradis fiscaux ?

En septembre 2006, les patrons des fiscs de l’OCDE, le club des pays riches, avaient eu des propos très durs dans leur « déclaration de Seoul » contre les intermédiaires fiscaux (avocats, cabinets d’audit, banques…) facilitant l’évasion fiscale des riches et des multinationales. Ils viennent de remettre un rapport sur le sujet au ton bien moins combatif mais qui laisse peser des menaces pour demain.
L’esprit de Séoul s’est en effet considérablement atténué dans le nouveau message politique que fait passer l’OCDE : si l’institution reconnaît que les professionnels du droit et du chiffre sont des offreurs de « montages fiscaux agressifs », la responsabilité principale, affirme l’OCDE, revient aux firmes et aux personnes fortunées qui en sont demandeurs. En attendant de s’intéresser aux pratiques des plus fortunés, les patrons des administrations fiscales ont concentré leur travail (ici) sur les multinationales à qui ils demandent de jouer le jeu de la coopération fiscale avec les gouvernements. A front renversé avec la déclaration de Séoul et avec les nombreux cas où les cabinets d’audit sont pris la main dans le sac de comportements douteux, les intermédiaires fiscaux sont présentés comme des spécialistes dont « la vaste majorité » aide leurs clients à s’y retrouver dans le maquis des lois fiscales et « les dissuadent de recourir à des pratiques illégales et excessivement agressives » !
Dans le même temps, on peut se demander si l’OCDE croît à son propre discours. Le chapitre 2 et le chapitre 3 du rapport s’ouvre sur des considérations qui expliquent très clairement qu’une bonne partie de la fraude fiscale des multinationales résulte… de l’offre de produits fiscaux douteux que leur proposent les intermédiaires. Et la fin du rapport se fait plus menaçante. Comme l’a déclaré Dave Hartnett, responsable du fisc britannique en charge du rapport, c’est un peu le « saloon de la dernière chance » pour les spécialistes et les firmes. Les administrations fiscales mettront l’essentiel de leurs ressources à traquer ceux qui ne verront pas d’intérêt à mieux coopérer avec les administrations fiscales.
A cet égard, le chapitre 9, consacré aux banques, retrouve un peu le ton de Seoul. Les montages fiscaux agressifs utilisent des produits financiers sophistiqués qui sont fournis par les banques à leurs clients, et utilisés pour elles-mêmes, dans le cadre d’opérations internationales dont le but est d’opacifier les transactions. Visiblement déçus de leur contact avec les banques qui, mises devant le fait accompli, leur ont opposé, croit-on comprendre, une fin de non recevoir, les administrations fiscales promettent de les mettre prochainement dans leur collimateur. Cela suffira-t-il à les dissuader ? 

 

 

"Le monde n’a jamais accueilli autant de richesses. La vente de produits de luxe bat tous les records, le nombre de milliardaires progresse sans cesse... Pourtant les déficits publics s’accumulent et se creusent dangereusement. Mais où est passé l’argent de nos Etats ? C’est en citoyen que je me suis posé la question et que j’ai enquêté pour ce film. J’ai découvert qu’il s’évadait vers des petits pays sans impôts : les paradis fiscaux. À l’heure de la globalisation de l’économie, ils abritent plus de 11 000 milliards de dollars.

Pour le raconter, j’ai fait réaliser un objet qui représente le paradis fiscal : une boule de neige avec deux palmiers et un drapeau avec un dollar dessus.
Séquence après séquence, elle révèle les situations, provoque, fait sourire mais surtout indigne ! Je l’offre au chanteur Bono, à Lakshmi Mittal... A tous ces milliardaires, qui ne paient pas d’impôts, à leurs avocats, au grands cabinets de comptabilité qui organisent les montages d’évasion fiscal.
Le film nous entraîne en Afrique, aux Caraïbes, à Londres, Washington à Jersey. Pour montrer que le grand capital se moque bien du lieu de destination de son argent pourvu qu’il soit exempté de taxes.
Le film révèle enfin que l’économie capitaliste traditionnelle marque désormais le pas au profit de la finance off shore. Chaque année, dans le monde, des dizaines de milliers de milliards de dollars disparaissent vers les paradis fiscaux pour échapper aux taxes.
L’Onu a besoin de 50 milliards pendant 5 ans pour éradiquer la pauvreté dans le monde. Elle ne les trouve pas. 50 milliards, c’est à peine 0,5 % des dépôts privés déposés dans les paradis fiscaux."


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