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réalité ou illusions perdues ?
24 septembre 2012

Un engagement stratégique doit avoir un caractère irréversible

 

project-syndicate.org - Luigi Zingales - 24 September 2012

 

CHICAGO – Depuis la fin des années1970, la théorie des jeux s'est répandue dans les milieux universitaires, ce qui a conduit les macroéconomistes à insister sur la notion d'engagement - une stratégie qui limite le degré de liberté des décideurs politiques, ceci pour améliorer les résultats économiques à long terme. Cela paraît contre-intuitif : comment moins de quelque chose peut-il conduire à une amélioration ?

Même si elle n'est pas historiquement exacte, la légende de Hernan Cortés est l'un des meilleurs exemples d'engagement stratégique. Voulant conquérir le Mexique, il décida de brûler les navires sur lesquels il était venu d'Espagne avec son armée. A première vue cet acte parait insensé : pourquoi détruire volontairement le seul moyen de se sauver en cas de défaite ? Cortés aurait expliqué qu'il a fait cela pour motiver ses troupes. Sans fuite possible, les soldats étaient encore plus motivés pour l'emporter. Alexandre le Grand aurait fait quelque chose d'analogue lors de la conquête de la Perse.

Pour être efficace, un engagement stratégique doit être crédible - autrement dit, il doit avoir un caractère irréversible. En ce sens, la stratégie de Cortés était parfaite : en cas de défaite, les Espagnols ne pouvaient reconstruire les navires brulés. Mais un engagement stratégique doit aussi être coûteux en cas d'échec : si Cortés avait perdu, aucun soldat espagnol n'en serait sorti vivant. C'est précisément ce qui contribué à motiver ses troupes.

Evidemment, nous ne connaissons que les réussites de cette stratégie. Si Cortés avait échoué, il aurait sombré dans l'oubli ou aurait laissé l'image d'un personnage illuminé et arrogant, se croyant capable de battre tout un empire.

La création des banques centrales a été l'une des premières applications de cette stratégie à la politique économique. On dit que les responsables monétaires doivent être indépendants du système politique, parce qu'à l'approche d'élections, les dirigeants élus risquent de faire pression sur eux pour faire baisser provisoirement le chômage, même si cela entraîne une inflation permanente. Pour éviter cette situation, les Etats doivent isoler les responsables des banques centrales des interférences politiques.

Beaucoup de macroéconomistes attribuent la baisse continue de l'inflation depuis le début des années 1980 à cette stratégie appliquée un peu partout. Encouragés par leur succès, les dirigeants politiques ont commencé à l'utiliser dans d'autres domaines. Ainsi ils ont "vendu" la libéralisation financière à l'opinion publique comme un engagement en faveur d'une politique favorable aux marchés. Si un gouvernement ne s'y conformait pas, la fuite des capitaux le mettrait à genoux.

Les emprunts colossaux réalisés par les Etats auprès de l'étranger, des caisses d'émission monétaire ou même d'unions monétaires relèvent de la même stratégie. La création de l'euro n'est rien d'autre qu'une forme extrême d'engagement : les pays européens ont essayé de lier leur sort au suivi de la discipline budgétaire allemande.

Le recours de plus en plus fréquent à cette stratégie pose la question de la démocratie. Cortés n'a pas fait de sondage avant de brûler ses navires. Et l'aurait-il fait, il aurait peut-être gagné (car sa stratégie était habile), mais c'est loin d'être une certitude.

La stratégie d'engagement stimule la motivation, mais elle est risquée. Alors que la probabilité de l'emporter était minime, Cortés, aveuglé par son rêve de gloire, était peut-être prêt à sacrifier ses troupes.

Heureusement, aujourd'hui ce sont des gouvernements élus démocratiquement qui prennent ces décisions censées traduire la volonté du peuple. Mais étant donné leur nature, ces décisions méritent un examen tout particulier, car elles sont par essence irréversibles. Liant les mains des gouvernements à venir, elles sont équivalentes à des amendements constitutionnels. De ce fait leur adoption devraient être soumise à un processus d'approbation spécifique.

Cette question est cruciale quand l'engagement présente des avantages plus attirants à court terme que celui de brûler les navires. Ainsi, quand un gouvernement commence à emprunter à l'étranger ou choisit d'entrer dans une union monétaire, les taux d'intérêt baissent. Ce type d'avantage immédiat est bien plus visible que le coût potentiel de l'engagement dans le futur. Avec cette stratégie, un gouvernement machiavélique peut pousser un électorat réticent à accepter une politique contraire à sa volonté.

C'est bien là que réside le problème. Pour les pays du sud de l'Europe, rejoindre la zone euro a été - explicitement ou pas - un moyen de contraindre leur population à accepter un certain degré de discipline budgétaire qu'elle n'aurait pas adoptée d'elle-même. S'agissait-il d'une décision démocratique ou de la manipulation de la population par une élite "éclairée" ?

Je crains que cette dernière hypothèse ne soit la bonne, ce qui pourrait expliquer le ressentiment qui monte contre l'Union européenne. Et pour couronner le tout, certains dirigeants européens n'assument pas leurs décisions passées. Ils ne veulent pas admettre que sont eux ou leurs prédécesseurs qui ont brûlé les navires. Ils rejettent la responsabilité sur la construction européenne. Aussi, l'euro, au lieu de favoriser l'intégration de l'Europe, la divise encore davantage.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Si cette stratégie était appliquée aux hommes et femmes politiques, une fois fois à leur poste convoité, ils n'auraient qu'une possibilité, réussir à travers les promesses qu'ils ont faites pour être élus; et en cas d'échec, ils n'auraient plus la possibilité de se représenter pendant un temps déterminé en avance (15 années par exemple) pour quelle que soit l'élection politique qu'ils ambitionneraient, je suis sûr qu'ils réfléchiraient à deux fois avant de se prononcer.

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