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réalité ou illusions perdues ?
19 novembre 2011

Les inégalités ne cessent de croître en France

Les-Crises.fr Olivier Berruyer le 29 août 2011

Après ce long détour outre-Atlantique, nous conclurons cette analyse des inégalités par la France, en reprenant la même trame d’analyse que pour les États-Unis, afin de faciliter les comparaisons. Il convient également de souligner la pauvreté des informations fournies par l’administration fiscale et l’INSEE sur les hauts revenus (et les revenus en général), et a contrario la richesse du travail mené par Thomas Piketty et Camille Landais dans l’analyse des inégalités.

Analysons aujourd’hui l’indice de Gini, qui est un excellent indicateur des inégalités de revenus, et qui a été présenté dans ce billet :

01-indice-de-gini-france

Les informations sur l’indice de Gini en France sont lapidaires. Des bribes disponibles, nous avons estimé son évolution sur le graphique précédent. La conclusion est relativement simple : l’indice a fortement baissé entre 1970 et 2000 pour se stabiliser à un niveau relativement bas. Il subit depuis 2007 une tendance à la hausse, suivant ainsi le mouvement mondial.

Ceci s’observe sur les graphes suivants présentant les niveaux de vie. Rappelons que le niveau de vie est égal au revenu disponible (revenu net après impôts et prestations sociales) du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (uc). Les unités de consommation sont généralement calculées selon l’échelle d’équivalence qui attribue 1 uc au premier adulte du ménage, 0,5 uc aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 uc aux enfants de moins de 14 ans.

Niveaux de vie France

Lecture : 10 % des français ont un niveau de vie de moins de 10 012 € par an, avec une moyenne de 7 698 €. Ils représentent 4 % du total des niveaux de vie

03-distribution-niveaux-de-vie-decile

Lecture : le premier décile gagne 4 % du total des revenus, soit 640 € par mois

Le graphique suivant représente la distribution par décile des niveaux de vie 2007 par individu en France.

04-distribution-niveaux-de-vie-mensuels

Lecture : 8,2 % des individus disposent d’un niveau de vie compris entre 1100 € et 1200 € par mois

On note de façon frappante que les niveaux de vie sont répartis de façon bien moins inégalitaire qu’aux États-Unis – ce qui confirme bien l’écart des indices de Gini.

Les quatre graphiques suivants montrent, à la même échelle, l’évolution de la part de chaque décile de niveau de vie, entre 1996 et 2002 puis entre 2002 et 2007 ; le graphique supérieur est exprimé en pourcentage d’évolution de la part, l’inférieur est en valeur absolue (en pourcentage du total de la masse des patrimoines).

05-part-decile-2002

06-masse-decile-2002

Lecture : le décile gagnant le moins a vu sa part dans la masse totale des niveaux de vie passer de 3,25 % à 3,60 %. Elle a donc connu une évolution de 10,8 %, en étant augmentée de 0,35 % du total. Les sommes du graphique inférieur sont évidemment nulles et montrent la redistribution réelle intervenue entre les déciles.

07-part-decile-2007

08-masse-decile-2007

On observe ainsi clairement que 1996-2002 a correspondu à une période de grande progression de la part des revenus des plus pauvres et des plus riches, au détriment des classes moyennes et aisées.

La période 2002-2007 n’a pas connu cette amélioration pour les plus pauvres, mais l’enrichissement des plus hauts-revenus s’est poursuivi, au détriment principal des classes aisées.

 

 

Thomas Piketty a réalisé une étude majeure : Les hauts revenus en France au XXème siècle. Inégalités et redistributions, 1901-1998 sur les hauts revenus en France. Elle a été actualisée par Camille Langlais en 2008 – les statistiques de l’INSEE ne dépassant jamais le quantile P95, qui agrège des situations bien trop disparates. En voici les résultats.

 01-seuils

Lecture : 32 070 foyers gagnent entre 346 et 1 072 k€, constituant la fourchette des 0,10 % à 0,01 % des mieux payés ; ils gagnaient en moyenne 513 k€.

Ainsi en 2006 :

  • 10 % des ménages français (le « Top 10 % », soit 1,8 millions de français) gagnaient plus de 48 200 € (= P90) ;
  • 0,01 % des français (soit 3 500 foyers) gagnaient plus d’un million d’euros (= P99,99), et en moyenne 2,1 M€ ;
  • les 90 % gagnant le moins (le « Bottom 90 % ») gagnaient donc moins de 48 200 €, et en moyenne 18 500 €.

02-parts-cumulees 

 04-parts-cumulees-1

 Il est frappant de constater à quel point la structure française des hauts-revenus est proche de celle des États-Unis (remise pour rappel) pendant 70 ans, et à quel point elles ont fini par totalement diverger. Ainsi en France, le Top 10 % :

  • entre 1900 et 1940, s’adjuge près de 45 % de tous les revenus. La distribution des revenus est très inégalitaire. Le mouvement est identique aux États-Unis jusqu’à 1935 ;
  • entre 1945 et 1980, voit sa part chuter drastiquement et se stabiliser en moyenne autour de 33 %. Les États-Unis sont encore plus stables que la France autour de cette moyenne ;
  • voit sa part atteindre un point bas en 1980, à 30 %. Sa part remonte alors légèrement, elle se stabilise alors à 33 %. En revanche, aux États-Unis, 1980 marque une explosion des inégalités de revenus, la part du Top 10 % montant alors à près de 50 % en 2007 – supérieure à celle des années 1920.

 

Sur la période 1910-1980, la structure des sous-quantiles est également extrêmement proche entre les deux pays.

La comparaison des deux graphiques suivants (celui des États-Unis est remis pour rappel) montre bien que c’est le fait d’avoir empêché la captation des revenus par le Top 1 % qui a permis le maintien en France de la « Grande Compression ».

 

Ainsi, la France a su échapper à la « Grande Divergence » qu’ont connu les États-Unis, et qui est en grande partie à l’origine de la Crise actuelle.

Toutefois, force est de constater le maintien des velléités visant à renforcer les inégalités de revenus en France (bouclier fiscal, suppression des droits de succession, refus de taxer plus fortement les plus-values mobilières et immobilières…). On observe ainsi en France une tendance modeste mais continue à l’augmentation de la part du Top 1 %, sans interruption depuis 1997.

 03-top-decile

 06-decile-sup

 04-france-usa

On observe enfin tout l’écart entre les deux pays sur l’évolution de la part du Top 0,1 %. Mais notons qu’en France, cette part a néanmoins augmenté de plus de 30 % entre 1997 et 2006 – ce qui est considérable…

 

On retrouve sur le graphique suivant comparant l’évolution des revenus du Top 0,01 % des ménages avec celle de la tranche marginale de l’impôt sur le revenu.

 01-revenu-impot

Comme pour les États-Unis, on remarque le net parallélisme entre les deux courbes. Plus encore, on observe les résultats de politiques fiscales divergentes :

  • en 1981, la taxation marginale augmente en France
    (« effet Mitterrand ») : la part du Top 0,1 % baisse de 20 % en deux ans.
  • en 1982, la taxation marginale chute aux États-Unis
    (« effet Reagan ») : la part du Top 0,1 % augmente de 30 % en deux ans. Et elle a quadruplé depuis lors.

Toutefois, la taxation marginale a continument baissé depuis 1995, ce qui a immédiatement entrainé une hausse de la part des très hauts-revenus. Le lien entre les deux actions semble donc robuste.

Les graphiques suivants sont les même que ceux étudiés pour les États-Unis (je vous conseille de comparer en cliquant ici). Ils présentent la typologie des sources de revenu.

02-composition-revenu 

 03-revenus-capital

 04-revenu-top-decile

Les deux premiers montrent que la part des revenus du capital a connu une sévère chute au moment de la Crise de 1929 et au moment de la Seconde guerre mondiale. La part des revenus du capital du Top 0,1 % est ainsi passée de 3 % du total des revenus du pays à 0,5 % où elle est restée stable durant 40 ans. Par contre depuis 1985, cette part a augmenté continûment, pour arriver à 1 %. L’évolution américaine est assez proche.

La différence tient au fait que la part des salaires est elle aussi restée stable en France, alors qu’elle a quadruplé aux États-Unis.

 05-part-sup

Cela se comprend, face à la démesure des très hauts salaires américains, les français font « pale figure ». C’est cette explosion des très hauts salaires américains qui explique principalement la hausse des inégalités aux États-Unis depuis 1980.

 

Les deux graphiques suivants mettent en parallèle l’évolution du revenu moyen du centile supérieur et du reste de la population en France et aux États-Unis (je vous rappelle l’étude des États-Unis pour comparer).

01-revenu-bottom-top 

 02-revenus-top-bottom

On observe ainsi un bon résumé de la situation précédemment décrite :

  • le revenu moyen du Top 1 % français a été divisé par deux durant la crise de 1929, il a fortement augmenté jusqu’en 1980 et a plus modérément augmenté ensuite : il se retrouve au double de celui de 1925. Au contraire, le revenu du reste de la population est resté stable durant la crise de 1929, a quadruplé durant les Trente Glorieuses, et est globalement stable depuis. Ainsi, l’écart a bien été divisé par deux dans la période ;
  • aux États-Unis, les revenus du Top 1 % n’ont pas baissé durant la Crise de 1929, et sont restés stables jusqu’à la fin des années 1970, avant de quadrupler depuis. Les revenus du reste de la population américaine ont connu une évolution proche de celle de la population française, avec un quadruplement. Ainsi, la réduction des inégalités des Trente glorieuses a été entièrement effacée, et l’écart est désormais bien revenu à son niveau des années 1920.

 

Le graphique suivant nous montre l’évolution des revenus par quantile de population.

 03-quantiles

On observe une croissance de plus de 80 % des revenus du Top 0,01% sur la période (avec des pointes de +10 % en 1999 à +15 % en 2006), alors que le revenu de la très grande majorité de la population n’ont augmenté que de 8 %. Le fait surprenant est que la courbe P0-90 a largement surpassé celle de P90-95 et P95-99. On retrouve bien le fait précédemment souligné : cette catégorie des hauts-revenus a connu une diminution de sa part, grignotée par les classes pauvres mais surtout par les classes très riches.

Par rapport aux États-Unis, on n’observe pas l’énorme à-coup de 2000, avec une croissance phénoménale des revenus suivis par une chute presque équivalente. C’est ici une « vaguelette » à peine perceptible. Mais là encore, on note qu’une récession majeure a suivi les deux pics insoutenables de croissance du Top 0,1 %.

Pour clore cette partie consacrée aux revenus, tentons d’estimer l’évolution de la structure des revenus en France depuis 3 siècles :

 04-quintiles

 05-quintiles-2

Et comparons également la structure des revenus de la France en 2007 avec celle de l’Angleterre du XVIIe siècle :

 06-xvii

On observe la très forte diminution des inégalités de revenus en France, continûment  depuis le XVIIIe siècle. Contrairement aux États-Unis, la situation actuelle est beaucoup plus favorable à la vaste majorité de la population que durant l’Ancien Régime.

Cette évolution très favorable a bien évidemment été due à la fiscalité, et en particulier à l’impôt sur le revenu. Une prochaine série de billets lui sera consacrée, mais il nous reste un dernier billet pour mieux faire connaissance avec nos hauts-revenus…

 

La distribution des salaires

Comme j’ai vu que le sujet avait suscité beaucoup de commentaires, voici la distribution des salaires mensuels en France par centile :

 01-graphe-distribution-salaire-mensuel-france

et le détail :

 02-distribution-salaire-mensuel-france

Et oui : si vous gagnez plus de 1 730 € nets par mois, vous faites partie de la moitié la mieux payée des français, et si c’est plus de 3 500 €, vous faites partie du Top 10 %. Cela relativise pas mal cette notion de “riche” dont on parle autant, non ?

Les hauts-revenus

En conclusion, je vous signale la récente étude de l’INSEE sur les hauts revenus (la seule à ce jour…) qui est riche de détails, mais qui malheureusement ne s’intéresse principalement qu’au seul revenu par unité de consommation (et pas au revenu réel par personne – les 2 informations sont intéressantes), n’indique pas l’évolution dans le temps, et ne rend pas public le détail des sources…

Voici leur définition des catégories de hauts-revenus :

 03-echelle-revenus-france

Donc pour faire partie des 1 % les plus “riches” (par le revenu), il faut gagner plus de  84 469 € par unité de consommation.

Rappelons que la notion d’unité de consommation permet de comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente.

On divise le revenu du ménage par le nombre de personnes du ménage, calculé ainsi : 1 pour le premier adulte, 0,5 pour les personnes de plus de 14 ans, et 0,3 pour les moins de 14 ans. Ainsi, pour faire partie des 10 % les plus “riches”, le ménage doit gagner au total :

  • 35 677 €, s’il n’y a qu’un célibataire ;
  • 53 515 € pour un couple ;
  • 85 625 € pour un couple avec 3 jeunes enfants.

Cette notion a donc l’avantage de rendre la situation des ménages mieux comparable (par une approche “dépenses” en fait), mais a l’inconvénient de brouiller la vision des revenus réellement gagnés (approche “recettes”). En effet, si dans les 3 ménages, il n’y a qu’un adulte qui travaille et qui gagne ces sommes, ce n’est pas tout à fait la même situation… Ainsi, il est intéressant de disposer des 2 analyses.

Dans le détail, on a la situation suivante :

04-revenu-declare 

Par l’indice de Gini, on observe ainsi la très faible inégalité de répartition des hauts-revenus aux très-aisés, puis de nouveau une nette hétérogénéité des plus aisés.

On dispose également de l’étude des revenus perçus – et cette fois ce n’est plus par unité de consommation :

 05-details-hauts-revenus

On observe ainsi que les 3 000 plus aisés ont un revenu réel de l’ordre de 3 millions d’euros par an.

Comment sont-ils imposés ?

 06-taux-d-imposition

On voit que l’impôt ne touche vraiment fortement que les plus riches, mais certaines choses sont très étonnantes, en particulier la situation des “plus aisés” ! Ils paient en  proportion autant que les “très aisés”, alors qu’ils gagnent en moyenne 4 fois plus ( 1 500 k€ contre 400 k€) ; leur taux moyen net n’est que de 25 % ; et surtout, près de 25 % de ces ménages paient moins de 15 % d’impôt, soit une proportion bien plus forte que pour les “très aisés” ! (qui ne sont que 16 % dans ce cas)  Bref, plus on gagne, moins on paie en proportion !

Bien entendu, tout ceci est lié aux niches fiscales, et on peut donc dire en gros que parmi les 3000 plus riches :

  • 25 % paient normalement leur juste contribution ;
  • 20 % ont quelques avantages réduisant leur impôt ;
  • 55 % profitent énormément du système, dont 25 % scandaleusement.

Et encore, l’INSEE n’a pas poussé le vice jusqu’à nous indiquer la proportion de non-imposables, mais il y en a probablement quelques pourcents… Pour la prochaine étude ?

 07-age

Étonnement, le revenu n’est guère fonction de l’âge, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Il y a même plus de jeunes chez les “plus aisés” que chez les “hauts-revenus” !

 08-evolution-nombre

Attention à la tentation du “le nombre de très riches explose”, comme l’a fait l’INSEE. Comme nous l’avons vu, oui, le nombre a doublé, mais relativisons, on ne parle que de 4 500 personnes de plus.

Globalement, la part totale des hauts-revenus  a assez peu augmenté, contrairement aux États-Unis.

 09-evolution-revenus

Bienvenue dans le financiarisme : l’évolution moyenne de la catégorie P90-99 (hauts revenus) est presque la même que celle de la masse de la population P0-90, et même les P99-99,9 n’augmentent pas scandaleusement. Bref, seul les 0,1 % de la population (60 000 personnes), et surtout les 0,01 % (6 000) se sont très fortement enrichies, au détriment de la part des autres…

Terminons par une analyse sociale de ces personnes :

 10-caracterisation-sociale-1

11-caracterisation-sociale-2

Source : Étude Insee sur les très hauts revenus  (analyse détaillée, mais l’essentiel est ici)

 Merci Olivier Berruyer pour cet excellent exposé !

Comme quoi la "France d'en bas" se démène pour de son mieux (souvent avec beaucoup de difficultés) pour arriver à finir les fins de mois, pendant que les très hauts revenus profitent du labeur de leur concitoyens !

 

Olivier Berruyer invité le 15 Novembre 2011 par Nicolas Doze dans son émission "Les Experts"

 

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