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réalité ou illusions perdues ?
19 novembre 2011

Le Miracle économique mauricien - Joseph E. Stiglitz

project-syndicate.org 2011-03-07

NEW YORK – Imaginez qu’on vous décrive un petit pays qui fournit gratuitement une éducation, y compris universitaire, le transport scolaire et les soins médicaux – dont la chirurgie cardiaque –  à tous ses citoyens. Vous pourriez penser que le pays en question est soit fabuleusement riche, soit sur le point de vivre une crise budgétaire majeure.

Après tout, les riches pays européens éprouvent de plus en plus de difficultés à payer pour les études universitaires et demandent aujourd’hui aux étudiants et à leurs familles d’en assumer les coûts. Les Etats-Unis n’ont quant à eux jamais essayé de mettre en place une éducation secondaire pour tous et il a fallu d’âpres négociations pour que les Américains pauvres aient accès à des soins médicaux – un acquis que les Républicains cherchent par tous les moyens à remettre en cause, en affirmant que le pays ne peut se le permettre.

Mais Maurice, une petite île-nation à l’Est de la côte africaine, n’est ni particulièrement riche, ni sur le point de faire banqueroute. Elle a néanmoins consacré les dernières décennies à bâtir une économie diversifiée, un système politique démocratique et une protection sociale généralisée. Plusieurs pays, notamment les Etats-Unis, pourraient s’inspirer de son exemple.

Lors d’une récente visite à cet archipel tropical de 1,3 million d’habitants, j’ai eu la chance de voir par moi-même les pas de géant accomplis par les Mauriciens – des réalisations qui peuvent sembler stupéfiantes au vu des débats en cours aux Etats-Unis et ailleurs. Prenons le cas de la propriété pour tous : alors que les conservateurs américains affirment que la tentative faite par le gouvernement de rendre 70 pour cent de la population américaine propriétaire de son logement est responsable de la crise financière, 87 pour cent des Mauriciens sont propriétaires de leur maison – sans avoir pour autant provoqué de bulle immobilière.

Et maintenant le chiffre qui fait mal : le PIB de Maurice a cru de plus de 5 pour cent par an depuis près de 30 ans. Il doit sûrement y avoir un « truc ». L’île Maurice doit avoir des ressources en pétrole, en diamants ou d’autres matières premières précieuses. Et bien, non, Maurice n’a aucune ressource naturelle exploitable. A vrai dire, ses perspectives d’avenir étaient tellement sombres à l’approche de l’indépendance, obtenue en 1968, que le lauréat du prix Nobel d’économie James Meade écrivait en 1961 : «  Ce sera une grande réussite si [le pays] parvient à donner un emploi productif à sa population sans qu’intervienne une baisse substantielle du niveau de vie actuel…[Les] perspectives d’un développement pacifique sont faibles ».

Comme pour donner tort à Meade, les Mauriciens ont porté le revenu moyen par tête de 400 dollars au moment de l’indépendance à plus de 6700 dollars aujourd’hui. Le pays est passé de la monoculture de la canne à sucre à une économie diversifiée, comprenant le tourisme, la finance, le textile et si les projets actuels se concrétisent, les technologies avancées.

L’objectif de ma visite était de mieux comprendre les facteurs permettant l’émergence de ce que certains ont qualifié de Miracle mauricien, et quels enseignements pouvaient en être tirés. Il existe en fait plusieurs leçons dont pourraient s’inspirer les politiciens aux Etats-Unis et ailleurs alors qu’ils débattent des orientations budgétaires.

Premièrement, la question n’est pas de savoir si nous pouvons nous permettre des soins médicaux et une éducation pour tous, ou faciliter l’accession à la propriété. Si Maurice est en mesure de le faire, certainement les Etats-Unis et l’Europe – autrement plus riches – le peuvent aussi. La question est davantage celle d’un choix de société. Les Mauriciens ont choisi une voie qui a apporté une plus grande cohésion sociale, le bien-être pour tous et la croissance économique – et une inégalité moindre.

Deuxièmement, et contrairement à plusieurs autres petits pays, Maurice a décidé que la plupart des dépenses militaires sont un gaspillage d’argent. Les Etats-Unis n’ont pas besoin de prendre une mesure aussi radicale : une fraction seulement de l’argent que dépensent les Etats-Unis pour des armes qui ne marchent pas contre des ennemis qui n’existent pas contribuerait substantiellement à une société plus humaine, en donnant notamment une protection sociale et une éducation à ceux qui ne peuvent pas se le permettre.

Et troisièmement, Maurice a estimé qu’en l’absence de ressources naturelles, son seul atout était son capital humain. Cette appréciation est aussi peut-être la raison pour laquelle les Mauriciens ont décidé que, compte tenu de la diversité religieuse, ethnique et politique du pays – une caractéristique que certains ont tenté d’exploiter pour faire en sorte que l’île reste une colonie britannique – l’éducation pour tous était un facteur indispensable à la cohésion sociale. Le respect des institutions démocratiques, ainsi que la coopération tripartite entre syndicats, gouvernement et employeurs – exactement à l’opposé des dissensions et divisions engendrées actuellement par les Républicains aux Etats-Unis – ont été d’autres éléments déterminants.

Cela ne veut pas dire pour autant que Maurice ne connaît aucun problème. Comme d’autres pays émergents en plein essor, Maurice est confronté à une perte de compétitivité liée au taux de change. Et le problème ne fait que s’aggraver, parce que de plus en plus de pays interviennent pour abaisser leur taux de change en raison des mesures de dévaluation concurrentielle prises par les Etats-Unis par le biais de l’assouplissement quantitatif. Il est pratiquement certain que les Mauriciens devront également intervenir sur leur taux de change.

Et préoccupation commune à plusieurs pays dans le monde, Maurice s’inquiète de l’inflation des prix des aliments importés et de l’énergie. Réagir à l’inflation en relevant les taux d’intérêts ne ferait qu’aggraver les difficultés posées par la flambée des prix en leur associant un taux de chômage élevé et un taux de change encore moins compétitif. Des interventions directes, des restrictions aux influx de capitaux à court terme, un impôt sur les plus-values, et des règles prudentielles stabilisatrices sont autant de mesures qui devront être envisagées.

Le Miracle mauricien date de l’indépendance. Mais le pays est toujours aux prises avec certains aspects de son héritage colonial : une répartition inégale des terres et des richesses, ainsi qu’une certaine vulnérabilité aux enjeux élevés de la géopolitique mondiale. Les Etats-Unis occupent l’une des îles au large de Maurice, Diego Garcia, dont ils ont fait une base militaire sans indemniser les Mauriciens. Officiellement, l’atoll est loué aux Britanniques qui ont non seulement conservé l’archipel des Chagos en violation du droit international et des conventions des Nations unies, mais également déportés les Chagossiens à qui ils interdisent le droit au retour.

Il est temps que les Etats-Unis agissent correctement envers ce pays pacifique et démocratique ; qu’ils reconnaissent l’appartenance de Diego Garcia au territoire mauricien, qu’ils renégocient le bail et qu’ils offrent, pour racheter les fautes passées, une compensation appropriée pour des terres occupées illégalement depuis des décennies.

Joseph E. Stiglitz est professeur d’économie à l’université de Columbia et lauréat du prix Nobel d’économie 2001.. Son dernier ouvrage Freefall : America, Free Markets and the Sinking of the Worl Economy. est aujourd’hui disponible en français (sous le titre Le Triomphe de la Cupidité), allemand et japonais et espagnol.

 

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