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réalité ou illusions perdues ?
22 décembre 2011

Règles d’équilibre budgétaire dans les constitutions des pays de la Z.E. et théories économiques balayant le keynésianisme

Union budgétaire européenne : la victoire du constitutionnalisme économique

 

L'Économie politique - posté le Mercredi 7 décembre 2011

Les projets actuels d’inscription des règles d’équilibre budgétaire dans les Constitutions des pays membres de la zone euro ne sont pas seulement la conséquence de la crise : approfondissant la logique du traité de Maastricht, ils font écho aux théories économiques qui ont balayé le keynésianisme à partir des années 1970.

Encadrer l’Etat par des règles

Entamée par Milton Friedman (prix « Nobel » d’économie en 1976) et menée par Robert Lucas, cette révolution théorique va se fonder sur le principe que l’économie s’auto-équilibre, sauf si son fonctionnement est perturbé par l’intervention de l’Etat.

C’est un retour aux idées pré-keynésiennes, selon lesquelles ce sont les interventions des Etats sur les marchés qui sont la source des crises. En conséquence, il convient de déréguler l’ensemble des marchés (financiers, des biens et services, et du travail), afin de permettre un fonctionnement optimal de l’économie.

En particulier, ces économistes estiment que les Etats ne doivent pas pouvoir prendre de décisions, mais doivent se conformer à des règles. Les dirigeants élus cherchant leur propre intérêt et non l’intérêt général, ils doivent être tenus de respecter des règles les obligeant à agir d’une manière conforme au bien commun.

Ces auteurs partagent les idées des ordo-libéraux (voir ici) concernant la nécessité de contraindre les Etats. A la dépossession de la gestion de la monnaie vient alors s’ajouter l’encadrement des décisions budgétaires, qui doivent respecter des règles inscrites dans la Constitution des Etats, comme l’équilibre budgétaire.

L’Union européenne : vers un fédéralisme autoritaire et récessif ?

Face à la crise des dettes, c’est précisément cette direction que semblent prendre les dirigeants de la zone euro. Ainsi que l’explique le journaliste Jean Quatremer, il s’agit de « constitutionnaliser les règles du Pacte de stabilité », le pacte étant introduit dans les Constitutions nationales sous forme d’une ‘règle d’or’ afin de contraindre davantage les budgets et de donner les moyens aux Cours constitutionnelles de sanctionner les gouvernements qui s’en écarteraient.

Pour Jean Quatremer, « c’est donc un véritable carcan qui sera mis en place », ce qui a, comme il le note, entraîné une « réaction positive des marchés : les bourses ont clôturé dans le vert et les taux d’intérêt des obligations d’État se sont franchement détendues. »

Pour Bruno Amable, professeur à l’université Paris 1, cette politique est « absurde », puisqu’elle ne fera qu’aggraver les déficits, les dettes, et le chômage. Est-elle suivie parce que les dirigeants actuels sont des “corniauds”, ou parce qu’elle correspond à certains intérêts politiques?

Réponse de Bruno Amable :

Pourquoi une politique aussi absurde est-elle suivie en Europe au moment où les prévisions de croissance de l’OCDE pour 2012 annoncent la stagnation (0,6% en Allemagne, 0,3% en France, 0,2% dans la zone euro) voire la dépression (-0,5% en Italie, -3% en Grèce) ?

La réponse donnée plus ou moins explicitement dans le cadre de cette première interprétation est simple : Angela Merkel, Jean-Claude Trichet, Mario Draghi et consorts seraient des corniauds qui croient en des théories économiques s’apparentant plus à la pensée magique qu’à la science.

Mais si on peut reconnaître un fanatisme quasi-religieux dans les croyances économiques soutenant les recommandations d’austérité budgétaire, il ne faut pas pour autant sous-estimer la rationalité des acteurs politiques. Le parallèle entre la politique préconisée à l’échelle européenne par Angela Merkel et celle suivie au moment de la grande dépression par Heinrich Brüning, chancelier de 1930 à 1932, est éclairant à plus d’un titre. Contournant le Parlement, Heinrich Brüning imposa par voie de décrets d’urgence une politique radicale d’austérité à base de coupes drastiques dans les dépenses publiques, notamment les indemnités pour les chômeurs, et de baisse des salaires. Cette politique budgétaire, couplée à une politique monétaire restrictive par peur de l’inflation, au moment où la déflation menaçait, contribua largement à ce que l’Allemagne s’enfonce dans la dépression.

La politique économique, annoncée comme durable, suivie par celui que les Allemands finirent par surnommer le «chancelier de la faim» s’inscrivait dans le cadre d’une offensive conservatrice visant à la fois à démanteler l’Etat social et à affaiblir le système politique de la République de Weimar qui le garantissait.

La Constitution de 1919 donnait pour objectif la coopération «sur une base égalitaire» entre syndicats et patronat pour la fixation des salaires, des conditions de travail et le développement économique ; elle garantissait aussi un grand nombre de droits sociaux. Avec l’intensification de la crise économique, l’objectif du patronat devint principalement l’affaiblissement puis la disparition de ce système au moyen de l’austérité et de la montée du chômage.

Altération de la démocratie et dévalorisation de la politique pour s’en remettre à des règles intangibles de supposée «bonne» gestion, remise en cause des droits sociaux, fragilisation de la représentation collective des salariés et réduction de l’Etat social par l’austérité budgétaire : les similitudes sont suffisamment nombreuses pour se demander si on tient vraiment au retour des années 1930.

Pour ma part, je partage le parallèle proposé par Bruno Amable avec les années 1930, pressenti depuis l’adoption du traité de Maastricht, et qui se justifie de plus en plus.

Mais je suis réticent à analyser les politiques actuellement suivies comme résultant de l’intérêt des dirigeants, pour la raison qu’il serait plus dans leur intérêt, me semble-t-il, de mener des politiques leur assurant une forte popularité et leur réélection. Pourquoi sacrifier leur destin personnel et les attraits du pouvoir au nom de la promotion d’idées, même s’ils partagent celles-ci ? Nos dirigeants seraient-ils tous aussi prompts au sacrifice et au don de soi ?

Mon interprétation est la suivante. Tout d’abord, les dirigeants sont pris dans des institutions. Ils ne font pas ce qu’ils veulent. L’euro est là, les traités également, et il n’est pas si facile de rompre avec les règles de droit et les habitudes de pensée que ces institutions ont créé depuis près de deux décennies maintenant (si l’on prend comme point de départ le traité de Maastricht, en 1992).

Par ailleurs, nos dirigeants, effectivement, font des erreurs. Par exemple, il ne fait guère de doute que Nicolas Sarkozy et François Fillon sont convaincus :
- que les 35 heures ont pénalisé l’économie française, alors que, selon Matthieu Bunel et Stéphane Jugnot, “In fine, les effets nets directs des dispositifs de réduction du temps de travail sont estimés à plus de 300 000 emplois sur cinq ans, de 1997 à 2001″ (voir leur article publié dans la Revue Economique) ;
- que le temps de travail annuel est plus faible en France qu’en Allemagne, alors que c’est l’inverse : en France, les personnes en emploi travaillent en moyenne 1 554 heures par an, contre 1 390 en Allemagne, soit une différence d’environ 10%. (Voir cet article de Libération)
- que tous les pays européens doivent suivre le modèle allemand, alors que ce modèle n’est par définition pas reproductible, puisque reposant sur les exportations, et qu’il entraîne de plus une grande misère sociale ;
- que nationaliser les banques est impossible et néfaste, alors que c’est évidemment possible (cela a été fait en Irlande, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni… et même en France il n’y a pas si longtemps) et nécessaire ;
- qu’il est impossible pour les Etats de stimuler l’activité économique, alors qu’un plan (au sens fort du terme) de conversion dirigée des économies européennes vers un modèle soutenable est la seule porte de sortie aujourd’hui (voir ce texte d’Alain Lipietz) ;
- que les Etats sont obligés de payer toutes leurs dettes alors qu’il leur est possible de négocier avec leurs créanciers ;
- qu’accroître les impôts est impossible alors que c’est un moyen simple de sortir de la crise (voir Pierre Larrouturou ou Thomas Guénolé) ;
- etc.

Au total, je pense que le modèle “institutions, idées et intérêts” proposé notamment par Bruno Palier et Yves Surel est une manière intéressante : les dirigeants sont pris dans des institutions ; ils arrivent au pouvoir avec leurs idées ; et ils tentent d’agir dans le sens de leur intérêt.

Ce que la situation actuelle a de fascinante, c’est que les institutions et les idées de nos dirigeants vont à l’encontre de leur intérêt premier, celui de leur popularité et de leur capacité à gouverner… sans parler de leur réélection !

Pour agir, il nous faut modifier les institutions, notamment européennes. Mais, pour cela, il faut que les idées des dirigeants et de leurs conseillers évoluent. Et vite.

***************
Quelques courts extraits d’articles célèbres de la “nouvelle macro-économie classique”.

Robert Lucas (prix « Nobel » d’économie 1995) : la politique économique échoue à cause du comportement des individus

LUCAS Robert, 1976, « Econometric policy: A critique », Journal of Monetary Economics.

Pour Robert Lucas, les politiques keynésiennes commettent une grave erreur : elles supposent que le comportement des individus n’est pas modifié par les décisions de politique économique.

Ainsi, par exemple, les politiques de relance budgétaire ne fonctionnent que si les personnes consomment, et n’accroissent pas leur épargne. Si, au contraire, les individus anticipent une hausse des impôts suite à la politique de relance, ils vont accroître leur épargne et réduire leur consommation. Résultat : la politique de relance sera inefficace.

Ainsi, pour Lucas, les modèles économétriques (statistiques) utilisés par les économistes et durant les années 1960 et 1970 sont faux, parce qu’ils n’intègrent pas la réaction des individus aux décisions de politique économique (ce qu’il appelle les « chocs subis par le système »):

(…) supposer la stabilité [des comportements des agents] pour différentes règles de politique économique, c’est supposer que l’opinion des agents sur les chocs subis par le système n’est pas modifiée malgré les changements intervenus dans ces chocs. Sans cette hypothèse extrême, les simulations de politique exigées par la théorie de la politique économique n’ont aucun sens.

Pour Lucas, les politiques keynésiennes vont être mises en échec par les décisions des ménages et des entreprises. On qualifie ces politiques de discrétionnaires car elles sont à la discrétion des dirigeants politiques.

Chaque majorité politique peut prendre les décisions qu’elle souhaite : accroître les impôts ou les diminuer ; réduire ou augmenter la durée du travail ; modifier le montant des allocations chômage ou les règles de licenciement : subventionner tel ou tel secteur d’activité ; modifier les taux d’intérêt lorsque la Banque centrale n’est pas indépendante du gouvernement ; etc.

Pour Lucas, qui estime que toute intervention de l’Etat dans l’économie est source de perturbation, la solution est de définir des règles.

Ces règles, intangibles, vont conditionner à la fois les décisions de politique économique (qui devront les respecter) et le comportement des individus, puisque ceux-ci vont intégrer ces règles à leurs décisions individuelles.

Dans ce cas, et dans ce cas seulement, il deviendra possible de prévoir le comportement futur des individus, et donc l’effet réel des politiques.

Mais pour que cela fonctionne, les hommes politiques doivent s’assurer que leur manière de voir est partagée par leurs concitoyens :

Il est peut-être nécessaire de souligner que ce point de vue (…) prétend que les réponses des agents ne deviennent prévisibles (…) que quand il existe quelque assurance que les agents et [les décideurs politiques] partagent une même appréciation sur la nature des chocs [décisions] que chacun peut anticiper.

De façon ironique, après avoir argumenté en faveur d’une limitation maximale du pouvoir politique, Lucas conclut son article par une défense de la démocratisation des décisions de politique économique :

En résumé, il apparaît que si les décideurs politiques souhaitent prévoir la réaction des citoyens, ils doivent les informer. Cette conclusion, si elle convient mal à la pratique économétrique actuelle, semble être conforme à la préférence pour un processus de décision démocratique.

**************************
Finn Kydland et Edward Prescott (Nobel 2004) : imposer des règles aux hommes politiques pour éviter les mauvaises décisions

Source: Finn Kydland et Edward Prescott, 1977, « Rules Rather than Discretion: The Inconsistency of Optimal Plans », [les règles plutôt qu’une politique discrétionnaire : l’échec des plans optimaux], Journal of Political Economy.

La thèse de Kydland et Prescott est très forte : elle consiste à dire que même dans les conditions les plus favorables, toute politique économique discrétionnaire est destinée à échouer.

Les conditions les plus favorables sont les suivantes :
- il existe un objectif collectif, partagé par tous ;
- les décideurs politiques connaissent le timing et l’ampleur des effets de leurs actions.

Pourtant, selon Kydland et Prescott, même dans ce cas, une politique discrétionnaire, c’est-à-dire une politique prenant la meilleure décision possible au meilleur moment, échouera.

Pourquoi ? Parce que, selon Kydland et Prescott, « la politique économique n’est pas un jeu qui se joue contre la nature, mais contre des agents [individus] économiques rationnels ».

En particulier, ce qui va tout faire échouer, c’est que ces agents forment des anticipations :

Les décisions actuelles des agents dépendent en partie de leurs anticipations sur les décisions de politique économique futures. Ce n’est que si ces anticipations sont indépendantes des politiques futures que [la politique discrétionnaire] est adéquate. (je mets en italiques)

Kydland et Prescott prennent ainsi l’exemple de la construction par des agents de leur maison en zone inondable.

Même si cette construction est interdite, les agents anticipent qu’une fois leur maison construite, la municipalité construira des digues. Seul un engagement ferme de la municipalité à ne pas construire de digues pourrait les dissuader.

Mais la municipalité se heurte alors à un problème : elle peut s’engager elle, mais elle ne peut pas engager les futurs élus :

La raison de la sous-optimalité de ces politiques n’est pas due à la myopie des décideurs politiques. L’effet futur de la décision est entièrement pris en compte. Le problème vient de ce qu’il n’existe pas de mécanisme permettant de faire en sorte que les futurs décideurs politiques prennent en considération l’effet de leurs décisions, par l’intermédiaire des anticipations, sur les décisions actuelles des agents.

Dans ce cadre, il est plus sûr de recourir à des règles :

L’implication de notre analyse est que les politiques de stabilisation de l’activité [keynésiennes] (…) peuvent être dangereuses et qu’il vaut mieux les éviter. Il est plus sûr de recourir à des politiques comme une hausse constante de la quantité de monnaie et des taux d’imposition fixes.

Et, pour plus de sécurité, on peut inscrire ces règles dans la loi, voire dans la Constitution, pour qu’elles ne puissent pas être modifiées par chaque majorité politique, ainsi que l’indiquent Kydland et Prescott en conclusion :

Dans une société démocratique, il est probablement préférable que les règles adoptées soient simples et faciles à comprendre, pour que toute déviation soit facile à identifier.

Il peut exister des arrangements institutionnels qui rendent difficile et long de changer ces règles (…). L’un d’eux consiste à faire voter par le Parlement des règles monétaires et fiscales, ces règles ne devenant effectives qu’après un délai de 2 ans. Cela rendrait les politiques discrétionnaires impossibles.

 

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